Ce n’est pas ici que mon histoire a commencé mais c’est ici que l’histoire qui vous intéresse probablement le plus à mon égard commence, c’est tout ce que vous devez savoir de moi, du moins pour le moment, laissez moi vous présenter mon paradis. 

J’ai trouvé un paradis, c’en était probablement seulement un pour moi, c’était comme mon propre paradis, je n’étais pas seul à y vivre, d’autres personnes étaient là également, c’était un paradis pauvre, un paradis violent, un paradis illégal mais les vibes y étaient pures, c’était un paradis polyglotte, multiculturel et imprévisible, c’était comme un voyage immobile, comme si la Terre ne tournait plus autour du soleil mais autour de ce marché, autour des ces gens, autour de moi, c’était comme parcourir le monde tout en étant à 3 kilomètres de chez soi. Ce paradis était un marché ayant lieu le weekend et qui rassemblait les personnes les plus pauvres de la capitale qui vendaient ce qu’ils avaient trouvé dans les poubelles parisiennes pendant la semaine. On pouvait tout y trouver, et n’importe quoi mais surtout tout, peu importe ce que vous y cherchiez, il y était, il était là, si il n’y était pas c’est que vous aviez mal cherché, tout y était, il y avait tout.  

 

La plupart des affaires étaient récupérées dans les poubelles, certaines étaient probablement volées, certains vendeurs étaient présents de temps à autres afin d’arrondir leurs fins de mois, d’autres étaient là tous les weekends depuis 2018, certains avaient des enfants, d’autres non, certains venaient en groupe, d’autres étaient seuls et tous étaient étrangers, certains avaient un travail pendant la semaine, d’autres étaient sans domicile fixe, certains ne parlaient qu’espagnol et beaucoup d’entre eux étaient généreux, tous essayaient de survivre. Il y avait des bagarres la plupart du temps, des vols tout le temps, la police assez souvent. Les gens souriaient, faisaient des blagues, écoutaient de la musique ou des radios étrangères, personne n’était sur son téléphone, tout le monde échangeait, négociait, parlait, tout le monde vivait, tout le monde était dans l’instant. C’était comme si nous vivions dans les années 80 à nouveau, comme si le temps s'était arrêté pendant quelques heures, comme si nous étions dans une bulle, dans un monde parallèle, émanait de ce marché une légèreté en complète opposition avec la lourdeur des semaines, comme si nous n’étions là non pas par devoir mais par plaisir, comme ci c’était le moins pire des devoirs en fin de compte, comme si ce devoir était un choix, comme si nous choisissions nos propres devoirs, contre mauvaise fortune bon coeur, oui c’est ça, exactement, comme si cette expression avait été la devise, la fortune n’était pas pécuniaire mais bien celle du coeur, le coeur était loin d’être mauvais, loin d’être pauvre, il était riche, il était généreux comme pour prouver qu’un coeur bon vaut toute les fortunes du monde. Les rues étaient toujours sales, sentaient parfois mauvais, les enfants jouaient, ils étaient pauvres d’un point de vue financier mais riches en moments, riches en souvenirs et en émotions. J’aime ne rien avoir car tout avoir signifie qu’il y a beaucoup de choses entre soi et le bonheur, lorsque l’on n’a rien, il y a peu de chose entre soi et le bonheur,  il est là, à portée de main.

Il y avait des Algériens et des Marocains, des Hongrois, des Roumains, des Tunisiens, des Chinois, une Américaine et des centaines d’autres personnes, tout le monde vivait en harmonie, avec des querelles parfois mais en harmonie. Les Mamas poussaient leurs caddies en criant  “Cola, boisson fraîche, eau, café” d’autres disaient “cigarettes, cigarettes, cigarettes du bled” ou “pas cher, 1 euro la pièce, pas cher” et les enfants jouaient. Ils avaient tous un accent, toutes les femmes de l’Europe de l’est s'appelaient Maria et tous les hommes répondaient à “khouyas”. C’est ici que débute la vie de tous les vêtements que j’ai fait, c’est ici que leur précédente s’est terminée, j’essaye seulement de leur en donner une nouvelle, la plus belle possible, la plus belle qu’ils n’aient jamais vécu. Ceci est leur histoire, pas la mienne, la mienne n’est pas importante, c’est peut-être notre histoire mais c’est la leur avant tout, ceci est l’histoire de LOUROY, c’est le début de l’histoire de LOUROY. 

 

PS : Je suis toujours à la recherche d’une usine pour produire les quelques milliers de vêtements que j’ai dessiné ces 6 dernières années. Après avoir envoyé des milliers d’emails, fait faire des dizaines d’échantillons, être allé à deux salons professionnels de la mode et avoir fait du porte à porte dans les banlieues de New Delhi dans l’espoir de trouver une usine, la réponse était toujours la même ; “vos vêtements sont trop compliqués à faire dans une si petite quantité”. Je n’ai pas réussi à chercher puis trouver une usine, est-ce que, par miracle, une usine pourrait venir à moi, me trouver moi ? 

 

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